INTERVIEWS CROISÉES - La France a vécu un soubresaut de son économie début 2015. Vous êtes 88% à croire que cette croissance ne sera pas durable. Et le gouvernement opte pour la prudence pour 2015 et 2016. Pourquoi ? Trois experts répondent.
La France a enregistré un rebond de sa croissance au premier trimestre 2015. Même si certains points de la santé économique française sont encore fragiles (construction, investissements etc.), d'autres sont encourageants (consommation, taux de marge des entreprises etc.). La question qui émerge désormais est de savoir si cette situation va durer. Pour les internautes du Figaro, la réponse est claire: c'est non. À 88%.
Prudent, le ministre de l'Économie Michel Sapin continue d'estimer la croissance pour l'année 2015 «à plus de 1%». Il a en outre déclaré «travailler sur une hypothèse de croissance de 1,5% de croissance en 2016». 1,5%? C'est exactement le taux dont parlent les ministres respectifs de l'Économie, du Budget, et de l'Emploi depuis plusieurs semaines: ils assurent que c'est avec 1,5% de croissance que la France peut relancer l'emploi. Or l'emploi est sans aucun doute une question prioritaire pour la France: le chômage continue inexorablement de monter alors que François Hollande a mis en jeu sa candidature pour 2017 s'il échouait à inverser la fameuse «courbe du chômage» d'ici la fin de son quinquennat.
Alors, durable, pas durable, cette reprise? Trois experts de l'économie répondent à nos questions.
• Lefigaro.fr -. Le premier trimestre a été plutôt bon pour la croissance en France. Cette bonne tendance va-t-elle se poursuivre?
Denis Jacquet, fondateur de l'association Parrainer la croissance. Qui le sait? Nous pourrions répondre si la croissance était le fait du gouvernement français. Ce qui n'est pas le cas. Rien n'a été fait pour la favoriser. Fiscalité, normalisation, droit du travail. Aucune réforme fondamentale. Donc ne venant pas de la France, la question revient à connaître la vigueur de la croissance mondiale, qui est, il est vrai, orientée à la hausse dans toutes les prévisions. La réponse est donc oui, si l'on en croit les tendances mondiales.
Christopher Dembik, (photo) économiste chez Saxo Banque. Nous sommes très certainement entrés dans une phase de tendance haussière de la croissance sur les prochaines années. Mais, malheureusement, je ne pense pas que la France pourra maintenir le rythme du premier trimestre. Car ce sont surtout des effets extérieurs au pays qui ont permis ce rebond de croissance: l'euro faible a permis aux sociétés françaises de mieux exporter, le pétrole bas a réduit les coûts pour les entreprises et les dépenses en carburant des ménages, tandis que les taux d'emprunt faibles ont permis à l'État de se financer quasiment gratuitement.
Or tous ces voyants verts ont, depuis, commencé à se retourner: l'euro est remonté; le pétrole a grimpé de 40% ces toutes dernières semaines; et les taux longs, s'il restent très faibles, ont augmenté tout récemment.
Xavier Timbeau, directeur principal de l'OFCE (Observatoire français des conjonctures économiques). C'est tout le mal que l'on peut souhaiter. Le retard de production accumulé depuis la crise est considérable et le rythme de croissance observé au premier trimestre est de nature à le refermer. Cependant, cette croissance a bénéficié de facteurs comme la baisse du prix du pétrole ou la baisse du taux de change euro dollar qui peuvent s'atténuer (si le pétrole remonte) ou même s'inverser. Cela dit, à l'horizon de la fin de l'année ces facteurs devraient rester porteurs. La baisse de l'euro et la diminution des taux d'intérêt sont liées à la politique monétaire de la BCE qui ne va pas s'inverser avant que la reprise ne soit complètement confirmée. La fin des politiques d'austérité en Europe sont également des éléments sur lesquels on peut compter pour quelques trimestres encore.
• En maintenant un objectif de croissance de seulement 1% en 2015, Michel Sapin ne joue-t-il pas la prudence?
Denis Jacquet. Bien sûr. Michel Sapin s'est pris quelques douches froides dans le passé et ne souhaite pas en reprendre de sitôt. Il a manifesté régulièrement depuis quelques mois l'envie de rester très pessimiste afin de ne pas être pris en défaut. Un «Sapin» échaudé craint l'eau froide, et ne nous servira que de l'eau tiède.
Christopher Dembik. Politiquement, il joue la prudence, certainement. Car ce gouvernement ne peut plus se permettre de faire moins bien que prévu. Il y a une volonté, même, de minimiser les bonnes nouvelles. Économiquement, à 1%, il minimise un peu. Mais de toutes façons, il ne peut pas y avoir de croissance beaucoup plus forte pour la France en 2015. Au mieux peut-être 1,2%? À deux ans des présidentielles, il ne faut pas s'attendre à ce que le gouvernement mette en place des réformes structurelles. L'heure est à l'annonce de mesures de soutien pour les plus démunis. Mais pour la croissance française, pour vraiment la relancer, il faut aussi redonner du pouvoir d'achat aux classes moyennes.
Xavier Timbeau.(photo) Oui, c'est vrai. Les prévisions du gouvernement ne sont pas révisées à chaque nouvelle annonce de l'Insee. La présentation du budget au cours du débat d'orientation budgétaire, fin juin, nous permettra vraiment de savoir comment le gouvernement anticipe l'avenir et bâtit son hypothèse de croissance. La configuration actuelle, à savoir la scrutation par le Haut Conseil des Finances Publiques et la surveillance par la Commission oblige le gouvernement à la prudence. Et il a par le passé annoncé trop vite l'inversion de la courbe du chômage. Je pense qu'aujourd'hui l'obsession du gouvernement va être, outre d'avoir une confirmation de la reprise, en faire le meilleur usage possible dans la perspective de la présidentielle.
• Le ministre vise 1,5% en 2016. Qu'en penser? Est-ce un simple effet d'annonce?
Denis Jacquet. C'est sûrement ce qui va se passer. Néanmoins la remontée de l'euro, la politique des taux d'intérêt, un accident mondial imprévu et la machine, qui à nouveau ne dépend pas que de nous, peut se détraquer. Sur les tendances actuelles, on peut donc le croire. A partir de 1,3% on commence déjà à créer de l'emploi. Le problème reste de savoir si ce sera une croissance génératrice d'emplois. C'est l'enjeu. On peut avoir une croissance et malgré cela un faible taux d'emploi, faute de confiance. Et l'approche de 2017, est, on le sait dans une année d'élection, souvent une année figée.
Christopher Dembik. C'est possible que la France fasse 1,5% de croissance en 2015. Peut-être un peu plus. Sapin s'accroche à ce chiffre de 1,5% car, dit-il, c'est celui qui permet de faire repartir l'emploi. Or quelque soit le taux de croissance, l'important, c'est qu'elle soit dopée par des secteurs qui créent de l'emploi. Or, la France tient encore à sauver son industrie traditionnelle, qui va mal, au détriment du développement et du soutien aux secteurs qui créent de l'emploi comme le Big Data ou la domotique.
Xavier Timbeau. Non, ce n'est pas un effet d'annonce. Le rythme de croissance nécessaire pour faire 1% cette année, s'il est prolongé l'année prochaine conduit à 1,5%. En effet, la croissance annuelle de l'année 2015 est marquée par l'acquis de croissance (mauvaise fin d'année 2014). Cet effet s'estompe en 2016. 1,5% est sans doute très prudent mais 2016 n'est pas pour tout de suite. Il est vrai que 1,5% en 2016 ne permet pas une forte baisse du chômage, ce qui serait pourtant bienvenu pour le bilan du quinquennat de François Hollande. Il espère sans doute plus, mais a choisi de s'en tenir à des chiffres prudents. Encore une fois, le débat d'orientation budgétaire et le scénario économique de la rentrée 2015 nous en diront plus sur l'analyse de Bercy et du gouvernement sur la situation économique.
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(Source LeFigaro.fr /Marine Rabreau)